Délaissés, les centres commerciaux de Paris et d'Île-de-France tentent de se réinventer (2024)

Par Dorine Goth Publié le 20 juil. 2022 à 18h12

Des allées désertes et des rideaux définitivement tirés. Une virée au centre commercial de La Grande Porte à Montreuil (Seine-Saint-Denis) tient plus de la visite d’un vestige qu’à une virée shopping. Seule l’enseigne Carrefour, située aux confins du premier étage, redonne une touche de vie au site en déshérence où seules quelques enseignes survivent.

«Plus de 60 boutiques», promet pourtant la façade avec insolence. En réalité, une dizaine sont toujours ouvertes mi-juillet.Certaines enseignes, à l’abandon, n’ont même pas pris le temps de remballer la marchandise restante.

Baisse de la fréquentation

Les spécialistes les appellent les «dead mall» en anglais : un centre commercial victime d’un grand nombre de fermetures ou de vacances de ses magasins, provoquant une perte d’attractivité.

«Le phénomène a été enclenché il y a une dizaine d’années, avec la fermeture de cellules commerciales qui n’ont depuis plus été reprises. Le départ de Celio, il y a cinq ans a été un des derniers coups durs. Aujourd’hui, on a une offre commerciale peu qualitative, à l’exception du Carrefour, avec un problème de solvabilité. C’est un cycle infernal», rapporte Gaylord Le Chequer, adjoint à l’urbanisme de la Ville de Montreuil.

Le centre commercial de Montreuil ne fait pas exception dans le paysage francilien, et particulièrement aux portes de Paris. Récemment, le centre commercial de Bagnolet a accusé le départ de Cultura, celui d’Aubervilliers de Flunch et celui d’Italie 2 à Paris la fermeture du Printemps suivi du départla Fnac. «Ce sont des signaux faibles qui doivent nous alerter», estime l’adjoint.

En France, les centres commerciaux ont enregistré une baisse de leur fréquentation de 15,6 % entre janvier et juin 2022, par rapport à la même période en 2019, selon le Conseil national des centres commerciaux.

Ces gros centres commerciaux aux portes des villes ne répondent plus à un mode de consommation, plutôt tourné aujourd'hui vers le commerce de proximité. Avant, c'était la sortie du samedi, ce n'est plus du tout le cas.

Concurrence du commerce en ligne et télétravail

Boudé par les consommateurs, le modèle du centre commercial a-t-il toujours un avenir en région parisienne ? Du côté du groupe britanniqueHammerson, propriétaire et gestionnaire des centres commerciaux Italie 2 et Italik à Paris, O’Parinor à Aulnay-sous-Bois et Les 3 Fontaines à Cergy, on se veut optimiste.

«Il y a une tendance à long terme liée au développement du e-commerce et à laquelle s’ajoute aujourd’hui le développement du télétravail. Toutefois, elle ne se traduit pas nécessairement par une baisse du chiffre d’affaires. Les clients viennent moins, mais consomment plus, ce qui est positif», assureAymericMétais, directeur commercialisation et marketing chez Hammerson.

À La Défense (Hauts-de-Seine), le métro enregistre toujours une baisse de fréquentation de 30 % par rapport à 2019. «Les tours de bureaux sont occupées très partiellement chaque jour, situation qui ne peut pas être sans conséquence sur l’activité de la restauration et du commerce dans la zone : Les Quatre Temps, Le Cnit, dont les baisses d’activité constatées sont très significatives», constate Procos,la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé.

«Se réinventer pour séduire»

L’enjeu est alors de «se réinventer pour séduire» de nouveaux clients et aussi «allonger la durée de visite». Face à l’explosion du commerce en ligne, Hammerson a entamé, il y a six ans, un virage vers la restauration, les loisirs et le divertissem*nt avec la nomination d’un expert au sein du groupe.

Ces trois domaines devraient représenter 15 à 25 % de leur surface commerciale d’ici 2025.À l’inverse, l’offre textile, qui représente aujourd’hui entre 50 à 60 % de l’offre, passerait sous la barre des 50 % d’ici la même date.

Augmenter l’offre de loisirs et de restauration

Dans cette optique, le centre commercial Italie 2 a sorti début janvier le projet Iconik, un food-court proposant street-food et «concepts culinaires tendances basés sur la notoriété sur les réseaux sociaux de jeunes enseignes» et aussi des soirées blind-test, karaoké ou quizz. «Depuis deux trois ans, il y a une véritable demande tournée vers les loisirs et le divertissem*nt. Quant au food-court, il devient un élément incontournable. Son absence peut devenir un facteur discriminant», estime Aymeric Métais.Récemment, le centre commercial Westfield Forum des Halles à Paris a annoncé l’ouverture d’un «food hall» de dix restaurants pour septembre 2022.

Pour monter le projet Iconik, Hammerson a dû revoir son modèle. Au lieu de proposer des baux commerciaux classiques de trois, six ou neuf ans, il propose des baux compris entre 12 et 36 mois. «La restauration évolue et c’est un secteur dynamique. On souhaite renouveler l’offre de restauration régulièrement pour pouvoir coller aux tendances culinaires du moment», projette le directeur commercialisation et marketing. Là où certains centres peinent à remplir leurs cellules commerciales, Hammerson se vante d’avoir reçu «150 candidatures» pour le projet.

De nouveaux risques

Mais cela signifie aussi plus de risques. «On doit pouvoir avoir quelques cellules vides pour pouvoir accueillir de nouveaux acteurs et surprendre le client avec des offres éphémères, même si pour cela il faut sacrifier le taux d’occupation à 100 % qu’offrirait un bail à long-terme», poursuit-il. Chez Hammerson, le taux d’occupation de ses centres commerciaux s’établit à 95 %, selon Aymeric Métais.

Mais pas question pour autant de mettre de côté les enseignes historiques.

Il ne faut pas sous-estimer la force des acteurs traditionnels. On aura toujours besoin d'un McDonald's par exemple, qui est une société qui a su se réinventer. Tout ça est un savant mélange. Il faut savoir accueillir les nouvelles tendances sans mettre à la poubelle les enseignes traditionnelles.

Pour le centre commercial de la Grande Porte à Montreuil, un retour en arrière semble impossible. La municipalité pense déjà à l’après, en lien avec les travaux de requalification de la Porte de Montreuil. «Maintenant que l’on connaît le projet de la Ville de Paris, la question est de savoir comment on s’en saisit pour redonner une dynamique à l’espace avec un objectif : maintenir l’offre commerciale et l’emploi dans ce secteur qui en a besoin», projette Gaylord Le Chequer.

Des discussions sont d’ores et déjà engagées avec le groupe Carrefour pour maintenir cette offre avec un commerce «directement ouvert sur la ville». Contacté par actu Paris, KKR, le fonds de pension américain propriétaire du centre n’a souhaité apporter «aucun commentaire».

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